jeudi 21 novembre 2013

J + 671 : Noureddinmouk


Il faut s'armer de bravoure et d'argent liquide lorsqu'on est amené par de tristes circonstances de la vie à faire face à un fonctionnaire marocain. Celui que la providence, la salope, a privé de l'un de ces atouts, ou celui qui compte ne pas en faire usage sous prétexte de citoyenneté endurera les plus atroces souffrances et sombrera dans les boueux marécages bureaucratiques dans la solitude et l'indifférence. 

Mais il n'y a pas que des fonctionnaires ripoux dans notre pays qui s'embellit à rythme soutenu, car si c'était le cas, comment expliquer alors toutes ces choses là qui marchent bien n'est-ce pas. 
Aujourd'hui j'ai eu à traiter avec un fonctionnaire non-ripoux au moment des faits. Le rôle de cet individu dans la grande jungle du service public est d'une simplicité telle qu'il serait tout à fait possible de le remplacer dès demain par une machine utilisant une technologie du siècle dernier. En effet, son travail consiste à échanger un vulgaire reçu contre un document d'une certaine importance.*
Aujourd'hui donc, je me présente au guichet de Noureddine en lui tendant le reçu susmentionné. Le regard vif, le geste aussi, il l'examine avec aplomb, c'est-à-dire en à peine plus de temps qu'il n'en faut, comme pour signifier que le papier contient plus d'informations qu'il n'y parait, et que seul Noureddine et une poignée d'experts sont en mesure d'en saisir l'étendue et la profondeur. Ensuite, il parcourut la pile de documents rangés par ordre alphabétique avant d'abandonner soudainement sa quête pour se consacrer entièrement au débat qui sévissait dans le guichet adjacent. Abasourdi par la capacité du fonctionnaire à se distraire d'une tâche pourtant très simple alors qu'il n'a même pas twitter, je repris rapidement mes esprits et tendis l'oreille pour essayer de saisir l'objet de la discussion. J'écoutais donc, et j'attendais, là, debout, bêtement, alors que l'univers continuait son avancée paisible sur l'axe du temps. J'écoutais Noureddine et ses collègues se livrer vivement à l'un de ces petits commerces qui, à défaut d'être lucratifs, permettent de tromper  sinon l'ennui, du moins le désœuvrement nécessaire à la marche de l'Etat. 

Lorsque le marché fut conclu par la décision de Noureddine de passer commande, celui-ci chercha des yeux un bout de papier pour y noter le nom d'un produit et la quantité désirée. Il prit donc mon reçu, le considéra un instant, conclu à sa redondance, le retourna et le déchira en deux. Satisfait des dimensions de la feuille ainsi obtenue, il y inscrivit les informations que nous venons d'évoquer et le tendis à sa collègue qui le plia en quatre et le mis dans son sac.
J'attendais le dénouement de cette histoire sans y croire vraiment, comme si les évènements qui venaient de se passer devant mes yeux n'étaient qu'une publicité youtube qui cache la vraie vidéo à laquelle elle allait immanquablement céder la place. Je me disais qu'il était impossible que les choses aient pu se passer de la sorte, car il est inconcevable qu'un fonctionnaire, aussi entrepreneur et créatif qu'il soit, puisse commettre une si grossière erreur en réalisant une tâche aussi simple.
Tandis que des pensées de cet ordre se bousculaient dans mon esprit, Noureddine se retourna vers moi, me considéra un instant, puis, se souvenant de mon existence et de son bulletin de salaire, compris relativement vite qu'il me faisait attendre depuis un moment, que je n'ai toujours pas mon document et qu'en plus, mon reçu a servi à je ne sais quelle transaction de légalité douteuse. Il regarda à gauche, puis à droite en tâtonnant des mains comme pour chercher une solution, me rendit la moitié du reçu, puis l'autre moitié après l'avoir récupérée chez sa collègue. Il mit côte-à-côte les deux mi-reçus comme pour souder le papier, ne s'excusa pas, m'informa que ce n'est pas lui qui va me délivrer ledit document mais un autre guichet d'une autre administration. C'est à ce moment qu'il remarqua que le reçu était inutile car déchiré en deux, et me suggéra d'y aller quand même et de leur dire que c'est Noureddine qui l'a déchiré en m'assurant qu'il était connu là-bas, juste dis-leur Noureddine, sinon reviens me voir ou alors tu sais quoi, refais une autre demande.
Je le remerciai et allai me faire foutre.
Il n'y a pas que des fonctionnaires ripoux dans notre pays qui s'embellit à rythme soutenu. Il y a aussi Noureddine.

* C'est tout.