mardi 9 mai 2017

[J + 1955] : Principe fondamental de la bureaucratie





La plupart des démarches exigées par l'administration marocaine nécessitent production d'un certain nombre de documents qu'il est impossible de deviner à l'avance et qui peuvent varier subtilement selon le lieu, le fonctionnaire ou l'humeur de celui-ci dans le respect des "instructions", les fameuses تعليمات. Nous ne rentrons pas ici dans le débat juridique sur la hiérarchie des normes, mais il est d'usage de considérer une ​_instruction_ comme une forme d'intelligence (ou de ruse) ​artificielle dont la puissance légale varie​ en fonction d'un certain nombre de paramètres complexes afin d'emmerder, de faire chanter ou de satisfaire un citoyen donné​. Face à un fonctionnaire "instruit", c'est-à-dire, ayant reçu une instruction, il est inutile d'invoquer je ne sais quelle obscure loi, car le législateur a parfois une tendance malsaine à faciliter la vie des gueux, vidant ainsi les démarches administratives de leur sens. C'est cela même le rôle premier du fonctionnaire : faire régner l'ordre en occupant la population. 

Nos compatriotes habitués à traiter avec les bureaucrates en saisissent parfois l'esprit et le dogme. Ils considèrent chaque démarche administrative comme une aventure à laquelle on se prépare rigoureusement ​en appliquant deux principes très simples :​
i - Si le document existe, on te le demandera​ nécessairement​ ;
ii - Il n'y a jamais assez de copies conformes.

C'est donc avec bonne foi ​et un classeur rempli de copies, d'attestations, de déclarations sur mon honneur et sur la vie de ma mère, de signatures authentifiées, du cachet, du RC, du RIB et d'une bonne dose de patriotisme et de patience, que je me suis rendu aujourd'hui dès l'aube administratif* aux impôts pour une démarche toute simple. Face au fonctionnaire instruit je me suis tenu droit et jovial, avec ce sourire légèrement fier et un peu narquois d'un élève certain de connaître par cœur sa poésie, l'ayant récitée à sa mère le matin même. J'avais tout juste, ma foi, les pièces qu'il faut, les signatures authentifiées, le formulaire correctement rempli, mon honneur dûment attesté par un auxiliaire d'autorité, la CINE, le permis, l'argent, et des copies certifiées du tout, et puis encore et encore des copies. L'examen de paperasse avançait et mon triomphe paraissait aussi évident que l'issue d'un deuxième tour en France, quand soudain (haha !), le nuage sombre qui couvrait le visage de mon interlocuteur se dissipa, et dans ce qui m'a semblé être un cri de victoire, il me rendit la pile de documents et me dit, sans même me regarder : "il faut mettre tous ces documents dans une chemise cartonnée et y écrire votre nom et votre identifiant" puis il ajouta, en me jetant un regard compatissant mais victorieux "et ensuite, revenez".

Je m'exécuta et consigna ma capitulation dans mon blog.

*​l'aube administratif correspond à peu près à 10h bssa3a jdida.


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